03 décembre 2012

T.E.O.R.E.M.A.T. : la renaissance du drame bourgeois

Dans la métropole transfrontalière Lille-Kortrijk-Tournai (+ Valenciennes), le festival Next vient de se terminer : créé en 2008, l'événement attire chaque année une trentaine d'artistes internationaux pour célébrer les arts vivants (théâtre, danse, performance). La portée de ce festival est de plus en plus accrue: cette année le public a pu choisir entre plus d'une cinquantaine de spectacles sur trois semaines.
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T.E.O.R.E.M.A.T., spectacle de Grzegorz Jarzyna (un des plus grands metteurs en scène polonais – vivants), s'intègre très bien dans ce contexte. Tout d'abord, pour son caractère international : le sujet est inspiré et adapté du travail de Pier Paolo Pasolini, « Teorema ». Initialement rédigé comme scénario, puis comme roman-prosimetrum (un mélange entre prose et poésie), « Teorema » sort comme film en 1968, qui est (coïncidence?) l'année de naissance de Jarzyna. Les acteurs jouent en polonais, pendant que sur deux écrans sont projetés les sous-titres en français et en néerlandais.
L'intrigue de Pasolini est bien respectée: une famille de la classe moyenne italienne (alors que l'Italie est en plein boom économique dans les années 60), vit une vie quotidienne qui ne se compose de rien; c'est à dire, le travail, l'apparence, les cheveux bien peignés, les liens familiaux. Ce monde va être bouleversée par un hôte inconnu (simplement « le garçon »). Il arrive, précédé d'une lettre, sans raison apparente, et il s'installe dans la vie de la famille bourgeoise en renversant ses fondements: avec son charme indéfini, d'intellectuel étrange aux rythmes du monde bourgeois, il enchantera un par un tous les membres de la famille (y compris Emilia, la bonne). Tous, l'un après l'autre, ils vont avoir des relations sexuelles avec lui. Cette pulsion érotique va dissoudre les fausses certitudes du monde bourgeois.
Les personnages, un à la fois, vivent une nouvelle expérience : le partage de soi avec l'autre. Quand enfin l'hôte, appelé par une autre lettre, s'en va, l'équilibre sera effacé. Les personnages sont flattés de pouvoir également "être propriétaires" des relations humaines et, incapables de poursuivre pour eux-mêmes la recherche de partage, ils se retrouvent incapables de se réinsérer dans le flux de la vie. Un par un, ils vont tomber dans le tourbillon d'auto-réalisation du délire (la fille), de la production artistique stérile (le fils), de la pulsion érotique extrême (la mère), de l'annulation de soi (le père).
La mise en scène de Grzegorz Jarzyna est traitée avec l'attention du voyeur, les scènes se succèdent comme de vrais morceaux de film. Fondamental l'usage de la lumière : elle vient comme une révélation mystique, alors que l'ombre tombe pour cacher un demain qui est juste un autre hier. L'obscurité qui enveloppe les changements de scène est profonde, d'abord déstabilisant. Pendant le spectacle, le spectateur apprend à le vivre comme une confirmation de la répétition : par exemple, elle diminue après chaque rapport que l'hôte a avec l'un des membres de la famille. Puis, quand la scène est sombre, après une rencontre entre l'hôte lui-même et le pater familias, même si on ne voit pas directement ce qui se passe entre les deux, nous avons la confirmation du sacrifice que le capital a fait à la pulsion érotique.
Le sexe, qui chez Pasolini se présente comme un outil nécessaire pour la conversion au sacré, chez Jarzyna est vécu plus légèrement: c'est un jeu et la joie, le logement et la délivrance. Tant et si bien que, malgré le drame de l'histoire représentée, le spectateur se retrouve à rire aux éclats, comme en face d'une scène drôle.

Marta Panighel, etudiante erasmus à Lille 3

Photo - La Rose des Vents

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